Between fear and chocolate
▽ Kenzie & Luann ▽

Cela faisait des semaines que le manège durait. Des semaines qu'elle retrouvait systématiquement des billets sur le comptoir de la petite chocolaterie, en l'échange de quelques chocolats mystérieusement disparus. L'annonce avait de quoi faire rire mais, la première fois qu'elle aperçut les petits billets sur le comptoir, son sang n'avait fait qu'un tour. Comment quelqu'un avait pu s'introduire ici sans que personne ne s'en aperçoive ? Et surtout pourquoi ? Elle n'avait mis que quelques minutes avant de découvrir la raison de cette monnaie, et celle-ci tenait dans un mot : chocolats. Une mystérieuse personne achetait ses chocolats de nuits et, qui que ce soit, il devait forcément y avoir une raison pour qu'elle ne vienne pas faire ses achats de jours. Restait à trouver laquelle.
Elle n'avait pas manqué d'interroger les commerces avoisinants, sur le ton de la curiosité, mais sans grand succès ; elle était la seule dans ce cas, et le resterait probablement à jamais. De toutes les options qui s'offraient à elle, elle aurait peut-être mieux fait de choisir la plus saine, et de continuer sur la voie de l'ignorance. Après tout qui irait risquer sa peau en pleine nuit pour découvrir l'identité d'un voleur honnête qui payait ses achats, laissant toujours un généreux pourboire derrière lui ? Personne, si ce n'était elle. La tentation était bien trop grande pour qu'elle reste étrangère à ces aventures, et c'était de sa chocolaterie qu'il s'agissait. Du moins de la chocolaterie où elle travaillait et où elle mettait un véritable coeur à l'ouvrage. Même si le local ne lui appartenait pas directement et qu'un chaperon surveillait ses gestes et ses comptes, elle estimait intérieurement que cet endroit était le sien, et elle se plaisait à y travailler chaque jour. Peut-être était-ce pour ne pas perdre la face qu'elle n'avait pas pipé mot à son supérieur à propos de ces achats nocturnes ? Il y avait fort à parier qu'il lui aurait ri au nez, et conseillé de garder les yeux fermés devant cette affaire ; ce client mystérieux, même s'il s'introduisait illégalement dans le local, payait ses consommations et, de ce point de vue là, perdait sa casquette de voleur. Seulement le comptable n'était pas Luann, et la jeune femme se devait de tirer cette histoire au clair, ne serait-ce que pour satisfaire sa trop grande curiosité.

Elle avait mis des jours à concocter son plan, digne des plus grands films d'espionnage qu'elle connaissait.. ou du moins des quelques séries B qui traitaient du sujet qu'elle avait vues. Le lieu de l'aventure était tout trouvé ; elle n'avait qu'à rester dans la chocolaterie. Prétextant un inventaire de dernière minute, elle avait même prévenu son père qu'elle irait dormir chez Evan ce soir là ; inutile de l'inquiéter au point qu'il prépare une chasse à la bête. Elle le connaissait trop bien pour ça, et savait à quel point il en était capable. Quant à son plan... elle le mettait dès à présent à l'exécution. Comme à son habitude, elle avait fermée la chocolaterie vers dix-huit heures, le temps que les derniers clients fassent leurs achats habituels. Porte close, panneau indiquant la fermeture des lieux, elle n'avait pas menti en parlant de l'inventaire, et s'y attela dès son service fini. Le reste viendrait en temps et en heure.

Les ruelles étaient désertes. Luann ignorait depuis combien de temps elle attendait là. Tapie dans l'ombre, elle s'était adossée derrière l'une des étagères de la boutique ; certainement pas l'un des endroits les plus confortables, mais au moins elle s'assurait d'une bonne vue sur l'ensemble du local, et l'interrupteur n'était pas très loin. Son plan simple mais rodé tournait en boucle dans sa tête. Elle n'avait qu'à attendre patiemment ici et, une fois que le mystérieux inconnu s'approcherait du comptoir, elle allumerait la lumière pour enfin découvrir son identité. Et si l'individu était dangereux ? Et s'il était armé ? Elle n'y avait pas pensé et, maintenant que l'idée lui était venue, la faille de son raisonnement lui apparaissait plus que béante. Non... Non non, on ne s'armait pas d'un couteau pour venir acheter du chocolat, ni d'une quelconque autre arme. Et si... Silencieuse, elle fixait le carrelage à ses pieds. Maintenant qu'elle s'y trouvait, l'entreprise dans laquelle elle s'était lancé lui semblait bien périlleuse...Un bruit de respiration attira son attention, coupant court à ses réflexions. Son sang ne fit qu'un tour, et elle retint son souffle, relevant doucement la tête. Elle n'était plus seule.
Prudemment, elle avança d'un pas en direction du bord de l'étagère. Cachée derrière le meuble, elle était soigneusement dissimulée, ou du moins elle pensait l'être. Le silence était subitement devenu pesant, et le moindre petit bruit en paraissait d'autant plus exacerbé. Sans pouvoir s'en empêcher, elle déglutit, observant discrètement la silhouette qui bougeait dans la pénombre. L'endroit avait beau être assez petit, elle n'arrivait pas à reconnaître l'inconnu, qui se dirigeait vers le petit rayonnage, avide de récupérer son butin. Le regard de la petite brune se dirigea directement vers la porte d'entrée ; cette dernière était encore fermée, et Luann était persuadée de ne pas avoir entendue la clochette tinter. Par où est-ce que le mystérieux client s'était faufilé pour entrer ? Prenant son courage à deux mains, Luann recula d'un pas, et abattit subitement sa main sur l'interrupteur, allumant immédiatement la lumière. «Qui que vous soyez, je vous demande de reculer du comptoir...et de vous retourner.» Elle n'avait pas l'autorité d'un chef de police, ni même d'autorité du tout. Une légère pointe de peur transparaissait dans sa voix, malgré l'assurance qu'elle cherchait à se donner. L'inconnu, qui se révélait être une inconnue vu sa silhouette, lui tournait encore le dos, et elle crut bon d'ajouter un petit «Et gardez vos mains en vue !», espérant secrètement qu'aucun objet tranchant ne s'y trouverait. Elle-même n'avait aucune arme dans les mains, pas même l'ombre d'un bâton ou d'une batte. Subitement, elle se sentit passablement idiote, pour n'avoir rien préparé alors qu'elle y avait tellement réfléchi. Elle déglutit de nouveau, guettant les mouvements de son vis-à-vis. Dans moins de quelques secondes, elle pourrait enfin mettre un visage sur le nom de ce mystérieux client... et également décider d'appeler ou non des renforts.