AEDAN - 10 ans

Gauche, droite,
Tout droit, en arrière.
Je suis perdu. Mais oui, j'en suis convaincu. Je tourne en rond, tourne sur moi-même. Cet arbre qui ressemble à un visage, je l'ai déjà vu, je le sais. Quelques heures que je suis ici, une forêt. Oui, pourtant, je devrais facilement retrouver mon chemin - après tout, je suis né ici. Mais, je n'aurais pas dû m'aventurer trop loin, ne pas essayer de mettre fin à cette peur divine qu'est : se perdre dans ces bois sombres. C'est pas gagné. Je tente de relativiser, mon coeur commence à s'emballer. J'inspire un moment, essaie de me repérer, ou du moins du mieux que je peux. Un son, un bruit, quelque chose. Je sursaute, ma tête tourne d'un côté, puis d'un autre. Rien. Je me met à halluciner ! Un vague rire nerveux, et j'avance à nouveau, tout en essayant de marquer d'une pierre blanche ces arbres qui se ressemblent tant. Un son, à nouveau. Je pince ma lèvre inférieure, les yeux rivés vers l'arrière. Mon coeur s'emballe, mes idées commencent à me lâcher. Quelque chose se cache dans les buissons, quelque chose veut me dévorer. Mais quoi ? Allez savoir. Je me met à courir, sans réellement m'en rendre compte. Tout se ressemble, j'étouffe, je sens mes jambes me lâcher au fur et à mesure. Toujours ce bruit, des branches qui craquent, qui cognent. uis un visage qui apparait, un regard étrange. Comme réflexe, je me colle à un arbre, priant que tout ça, ce n'est qu'une illusion, que j'ai juste peur de cette maudite forêt. Mais, rien n'y fait. La chose s'approche, mes yeux s'écarquillent, la peur s'amuse à jouer de moi jusqu'aux entrailles. Je ne bouge plus, tétanisé. Quelque chose, quelqu'un, j'en sais rien. Pourtant, il y a cette part de curiosité qui m'emballe, qui me fait me poser des questions : comment ? Une genre de bête, pas très grande, un visage de loup, un corps humain, ou ou, cette queue de loup, je ne sais pas, je ne porte pas attention aux détails. Je me perds juste dans les yeux de ce cauchemar. Mes jambes me lâchent, je m'écroule.
Le noir, tout noir.
Une heure, puis deux heures.
Le soleil me brûle la peau et pour tout dire, c'est ça qui me réveille. Je papillonne des yeux, et là tout me revient : c'est vrai, je suis perdu. Je roule des yeux, tente de chercher la fameuse bête, mais rien. Aurais-je rêvé ? Suis-je devenu fou ? Allez savoir. Je déglutis, presque nerveux. Contre toute attente, face à moi, un garçon. Il doit avoir mon âge, ou peut-être moins, je ne pourrais le dire. Il me fixe, d'une manière presque inquiète et aussi, apeurée. Est-ce que c'est lui ? Non ? Oui ? Je tente de bouger un peu, mais pour le moment, ma tête me fait bien trop souffrir. Je me met à rire, nerveux. Plus de peur que de mal. « C'était toi ? Hein ? » Je fronce presque tristement les sourcils, et pourtant, j'ai ce pétillement un peu fou qui peut se lire dans mon regard. « C'est géant ! » Enfant quelque peu bancal, enfant plus ou moins anormal. Oui, je devrais partir en courant, et hurler : au loup ! Pourtant, pourtant, je n'y arrive pas. Premièrement parce que je suis encore dans les vapes, et deuxièmement parce que, il ne m'a pas dévoré. Ou peut-être suis-je mort ? « Ouais je sais. » Un sourire se colle à son visage, s'il parle, c'est que c'est bien vrai. Donc, je n'ai pas la berlue. Il s'est bien transformé, ou alors détransformé, ou ... Enfin, c'était un loup avant, ou quelque chose dans ce genre. « Même que je suis un magicien moi, j'ai des pouvoirs, mais c'est un secret, faut pas le dire. » J'hausse les sourcils, je pourrais presque le croire à vrai dire. Mon coeur claque contre ma poitrine, et il est vrai que vu ce que je viens de voir, je peux tout entendre maintenant. Tout à coup, ses traits du visage changent, il parait plus suspicieux, fronce tristement les sourcils. « Hein que tu vas pas le dire ? » Je glisse ma main sur ma nuque, la gratte un petit moment, avant de secouer négativement ma tête, la main sur le coeur. Une genre de promesse muette. Un sourire rassurant pour accompagner tout ça. Il est vrai que n'importe quel enfant, pourrait partir en courant, en hurlant : maman ! Mais, je n'en vois pas l'utilité. C'est vrai, il ne m'a pas dévoré, puis, c'est un garçon ! Il est humain. Bon, humain un peu spécial, mais humain tout de même. « Aedan. Je m'appelle Aedan. Et toi ? » Il me fixe avec ses grands yeux verts, inspire un instant puis ajoute sans ménagement. « Hippolyte, le grand, le magnifique ! Pour te servir. Sauf les soirs de pleine lune, je suis un peu occupé, tu comprends. » Je baisse mes yeux sur ses chevilles. Ah tiens, elles sont encore là ! Je roule des yeux avant d'ajouter, un peu blasé. « Le grand, ouais. Enfin t'as encore des centimètres à prendre ! J'te dépasse d'au moins dix centimètres. » Un tirage de langue en puissance, venant de ce dit Hippolyte un peu trop sûr de lui. Il roule des yeux, se met à ricaner. « Fais gaffe ou je te mange la main. » Juste un rire pour ne pas pousser plus loin. Les secondes, les minutes passent et je ne vois plus le temps passer. Des paroles ici, puis là, de la curiosité maladive de savoir le pourquoi du comment. Puis, le moment fatidique de dire au revoir. Une voix au loin qui hurle mon nom, ma mère, moi qui a contre coeur me dirige vers le village avec elle. Un simple geste de la main.
Moi ce jour-là, j'ai tout vu et pas vous.
Moi, j'ai vu un enfant-loup.